C’est à l’occasion du numéro 390 du magazine de jeux vidéo britannique Edge qu’un panel de développeurs ayant travaillé sur Halo : Combat Evolved ont été rassemblés par GamesRadar pour parler à nouveau du cycle de développement du premier jeu de notre saga. Le sujet est quasiment légendaire et sa chronologie bien connue, mais chaque nouvelle histoire apporte son lot de nouveaux détails.
Halo reviendra à ses origines RTS avec la série Halo Wars.
Origines
Le premier commentaire partagé est celui de Marcus Lehto, directeur artistique puis directeur créatif jusqu’à Halo : Reach, aujourd’hui directeur du studio Ridgeline Games pour Electronic Arts. « On voulait créer une aventure de science-fiction militaire basée sur Myth, dont on réutilisait le moteur de jeu. On voulait faire un open world. On voulait faire un RTS où on commandait à la fois des fantassins, mais aussi des véhicules comme des tanks et des transports de troupes. »
Steve Abeyta, artiste et animateur jusqu’à Halo 2, se remémore les ambitions visuelles du jeu. « Ce n’était pas mon type de jeu. J’avais joué à Myth, mais ce n’était pas mon truc. Mais les visuels m’avaient impressionnés : le ciel peint, les lens flares, les shaders iridescents sur les véhicules aliens insectoïdes, et surtout les petits personnages en train de conduire leur jeep. »
La jeep, qui deviendrait l’incontournable Warthog, fut un élément central dans les origines du développement de Combat Evolved. Alexander Seropian, cofondateur de Bungie et actuellement directeur du jeune studio Look North World, explique : « Charlie Gough [encore directeur technique chez Bungie et indirectement responsable du retard de Halo 2 Vista] avait implémenté une physique pour les suspensions de la jeep. Je me souviens avoir vu une démonstration où le véhicule traversait un terrain en 3D. »
« La caméra était très rapprochée, et tout le monde trouvait cet effet génial, mais si la caméra était trop éloignée on ne pouvait plus le voir. La magie était cachée. Donc on a commencé à rapprocher la caméra de plus en plus, jusqu’à tester le jeu en troisième personne avec un contrôle direct du personnage. » Cette transformation vers un jeu de tir était aidée par le fait que les développeurs étaient des fans de Tribes et Quake III.
Seropian continue : « J’ai un souvenir vif de nos premières parties en réseau. C’était un premier test, tout était en troisième personne avec quelques armes et une carte très simple. Mais on était déjà accrocs. » Lehto poursuit : « Je me souviens avoir parlé avec Jason [Jones, autre cofondateur et toujours directeur créatif de Bungie], à propos de cette connexion avec le personnage, la viscéralité d’être connecté avec l’action en première personne. »
L’artiste Shi Kai Wang, notamment créateur des Covenants et actuellement directeur artistique chez Bungie, se souvient cependant d’un problème fondamental soulevé par la caméra en troisième personne : « On tirait depuis la caméra, mais le projectile sortait du personnage. On est passé en première personne parce que Jason n’arrivait pas à trouver une méthode de calcul pour corriger ce problème ! » Seropian conclut : « On s’y est résigné, comme si c’était une fatalité. On voulait faire quelque chose de novateur et différent, mais merde, il fallait d’abord faire ce qui rendait bien ».
Le rachat
La légendaire démonstration de la Macworld 1999 attira l’attention d’autres entreprises, et en particulier de Microsoft, alors à la recherche de titres de lancement pour sa nouvelle Xbox. D’après Seropian, « De nombreuses personnes nous ont approché après cette démo, et au moins la moitié étaient des offres de rachat. »
Le timing était parfait : le studio venait d’engloutir son budget dans la correction de ce qu’on surnomme « l’incident du désinstallateur », découvert sur les versions finales de Myth II par un testeur japonais et qui pouvait supprimer l’intégralité du disque d’installation du jeu (une erreur dont une simple recherche Google nous informe qu’on la retrouve avec une fréquence effrayante même de nos jours).
Wang indique que « Nous n’avions pas conscience d’à quel point le studio avait besoin d’argent. Il nous fallait un acheteur pour survivre et de continuer à faire des jeux. » Selon le producteur Hamilton Chu, aujourd’hui directeur de Second Dinner Studios (Marvel Snap), « Nous avions rappelé tous les exemplaires du jeu, alors que beaucoup d’autres studios ne l’auraient pas fait. C’était une décision entièrement fondée sur l’éthique plutôt que la finance. »
C’est l’éditeur Take-Two (Bioshock, Grand Theft Auto), qui publiait à l’époque les jeux de Bungie, qui les introduisit à Microsoft et à la Xbox. Bungie était un des rares studios à produire des jeux pour Mac. Chu explique : « C’était la pire trahison possible pour la communauté des joueurs Mac. On a reçu des menaces de mort, mais ça nous a surtout fait rire. De nos jours, on aurait pris ça plus au sérieux. »
L’ambiance n’était pas plus encourageante du côté des entreprises selon Seropian : « Après qu’on ait reçu l’offre de Microsoft, on a immédiatement contacté Apple pour leur faire savoir qu’on allait considérer cette option. Leur réponse était de nous souhaiter bonne chance en disant : ‘Vous êtes super, mais les jeux ce n’est pas important pour nous.’ Mais lorsqu’on signait l’offre, et je dis ça littéralement, j’étais au sommet de l’immeuble Bank Of America à Seattle, on lisait attentivement les documents et on avait déjà les crayons en main pour signer, Phil Schiller d’Apple m’appelle. Je suis sorti de la pièce pour lui parler dans le couloir. ‘Hé, j’ai entendu dire que vous alliez accepter l’offre de Microsoft, vous avez déjà signé ?’ Je me suis dit ‘Mais il est sérieux ?!' »
Le rachat provoqua le déménagement du studio de Chicago à Redmond, traversant plus de la moitié du continent. L’équipe de Chicago fut également combinée à celle de Bungie West, basée en Californie et responsable du développement du jeu Oni. Chris Butcher, qui deviendrait programmeur jusqu’à Halo : Reach et travaille toujours pour Bungie, révèle que « [Bungie] travaillait sur une nouvelle licence », dont le programmeur Michael Evans, aujourd’hui directeur technique de Theorycraft Games, révèle le nom de code : Monster Hunter.
Selon Butcher, « Il n’a fallu que quelques semaines avant qu’on comprenne que Halo nécessiterait que tout le monde soit sur le pont. Le 12 février 2001 [d’après ses notes journalières qu’il a conservé], j’ai déplacé mon bureau dans la salle Halo. »
Même la jaquette du jeu connut une version non finale surprenante.
Contre la montre
Evans se souvient que Halo était un jeu très en retard : « À huit mois de la sortie, on avait que l’idée d’un jeu. » Selon Lehto, « On avait les mécaniques de base, et c’était tout. » Butcher développa l’IA des ennemis à partir de notes de design et de quelques ébauches de fichiers en C++ : « On avait aucun niveau, aucun moteur de scripting, aucun moyen de placer des points d’apparition. Tout ce qu’on avait, c’était un espace en 3D où on pouvait contrôler un personnage avec un fusil, et tirer sur des ennemis. On était en février 2001. »
« On a fait beaucoup de sacrifices pour sortir le jeu, » se souvient Seropian. « On a annulé des projets, combiné trois équipes en une et réduit la portée du jeu. La version finale contenait un niveau qu’on aurait jamais dû inclure, » probablement La Bibliothèque, pas encore commencé à deux mois de la sortie. Abeyta résume le dilemme autour du niveau tristement célèbre : « Ce serait soit un niveau très, très court, soit un niveau très, très répétitif. On a choisi d’être répétitifs. »
15 niveaux furent abandonnés, dont un où le joueur pilotait un bateau. Certains ennemis ne furent ajoutés que dans les jeux suivants, le temps ne permettant pas la création de leurs modèles 3D. Et la contrainte d’être le fer de lance de la Xbox imposa même de reconsidérer l’inclusion du mode multijoueur afin de boucler la campagne. C’est Evans et l’ancienne équipe du projet Oni qui ramenèrent le mode d’entre les morts. « Je ne sais pas combien de nuits on y a consacré, en tout cas beaucoup. On avait une petite salle où on se rassemblait pour faire des parties de test pendant beaucoup trop d’heures, alors qu’il restait du travail. Mais si on pouvait s’y amuser autant, ça voulait dire que garder ce mode était le bon choix. »
Selon Butcher, le multijoueur ne fut terminé qu’en septembre 2001, un mois avant la sortie. « Il devait rester entre deux et cinq semaines quand le mode 16 joueur est devenu jouable. Le classique huit contre huit sur Blood Gulch. Pendant ces dernières semaines de test, on a pu acquérir la certitude que c’était un bon jeu. »
Le tank furtif fut entièrement supprimé, puis récemment reconstitué par le projet Digsite.
Butcher raconte l’épopée autour du Scorpion : « Quatre semaines avant la sortie, John Howard [lead designer, aujourd’hui product manager chez Amazon,] annonça que le tank devrait être retiré. Paul Bertone [designer, aujourd’hui design director en freelance,] lui a répondu ‘Merde. Le tank sera dans le jeu, John, parce que sans lui c’est un jeu naze.’ Alors il a motivé des artistes et des animateurs, en leur disant ‘John vous a demandé d’arrêter de travailler sur le tank, mais on va le faire quand même.’ Tout le monde a fait des heures supplémentaires et le tank était jouable une semaine et demi plus tard. John n’était pas content : ‘Je vois que vous avez bossé de nuit pour le faire, j’essayais de vous rendre la vie plus facile mais vous n’en avez fait qu’à votre tête.' »
Selon Wang, « Il y a de très longues nuits. Pendant ces neuf mois, si on compte des journées normales de huit heures, on a probablement travaillé l’équivalent de 12 mois au moins. » La période de crunch autour de Halo : Combat Evolved est bien connue, et les développeurs affirment qu’ils ne veulent pas revivre une telle expérience, mais ne la regrettent pas pour autant.
Ce travail supplémentaire ne leur avait pas été imposé par les directeurs, ils étaient encore jeunes et motivés uniquement par l’envie de produire un bon jeu. Chu conclut « Ça s’est bien terminé, et tout le monde se souvient de cette période comme une aquarelle, tout est flou, mais le sentiment reste d’avoir lutté pour la bonne cause aux côtés de gens brillants. »
Les versions bêta du jeu datent de très tard dans le processus de développement.
Au sujet du succès instantané du jeu, Seropian et Lehto admettent que la chance a joué en leur faveur, et Butcher analyse que la sortie proche des attentats du 11 septembre 2001 conféra un plus grand impact au manichéisme de l’histoire du jeu. « C’est une histoire où les gentils vont forcément gagner. Et puis le multijoueur a rendu le jeu iconique. C’est là que les joueurs ont créé des souvenirs avec leurs amis, en jouant des centaines et des milliers d’heures. »
L’équipe était trop fatiguée pour célébrer ce succès, mais Abeyta se souvient que les développeurs ne pouvaient résister à leur instinct créatif : « On utilisait le moteur de Halo pour faire des voitures de course ou des monocycles. C’était notre boulot, mais aussi ce qu’on aimait faire de plus au monde. » Chu et Evans firent partie des membres du studio qui participèrent à l’ouverture des ventes dans un magasin de Redmond, donnant les premières copies aux acheteurs. « Le jeu vidéo était une affaire plus confidentielle à l’époque, mais cette nuit-là, on s’est tous sentis comme des rock stars. »
Si vous êtes passionnés par les détails du développement de Halo : Combat Evolved, vous pouvez retrouver une compilation de toutes les informations diffusées au fil des décennies sur l’article dédié sur du WikiHalo.
Avez-vous déjà joué au multijoueur en ligne de Halo : Combat Evolved, lors d’une LAN classique ou dans la version de Halo : The Master Chief Collection ?
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Mes souvenirs sont essentiellement sur halo custom edition à l’époque.. lorsque halo : Combat Evolved était sorti en cd sur pc.
Mais avant ça effectivement c’était Lan, et sur xbox.
Très intéressant cet article, bien vu