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Halo Waypoint Chronicles – Tulpamancie

Bienvenue pour cette dixième rediffusion des traductions des Waypoint Chronicles. Ces histoires courtes régulièrement partagées sur le site officiel Halo Waypoint ont été traduites en texte et en livre audio sous-titré par le WikiHalo. Notre précédente histoire était Fireside.

Tulpamancie parle d’une rencontre aux tons occultes, mais aussi et surtout de l’héritage de l’humanité. Car il n’y a pas que la Bibliothécaire qui aura laissé des cadeaux antiques aux humains modernes, qui attendent encore d’être trouvés.


NOTE HISTORIQUE

Halo : Tulpamancie se déroule en avril 2560, environ quatre mois après la disparition du Halo Zêta.


CLASSIFICATION : PRIORITÉ ALPHA UN
SERVICE DES RENSEIGNEMENTS DE LA NAVY
PROJET : ARC DREAM

//ARCHEOHOMINA
//DE : Nom de code : PANGAEA
//POUR : Nom de code : YUGA

PIÈCES JOINTES :

Archeohomina : Une introduction « Guide des civilisations protogéniques » par K. Iyuska « San’Shyuum : Passé, présent, futur ? » par C. Lux
Dialogues des terminaux de Requiem, enregistrés par S-117 Extraits de la transcription du Récit de Novelastre Rapport 15Y1198 du Groupe d’exploitation des xénomatériaux de l’ONI

On dit souvent que la clé du futur se trouve dans le passé.

J’en suis plutôt convaincu au vu des découvertes de ces dernières années.

Ce champ de recherche est bien sûr encore jeune, et nos ressources très limitées étant donné le présent état de la galaxie. Mais nous faisons malgré tout de grandes avancées dans la redécouverte de ce que nous étions autrefois.

Pour résumer : l’humanité a déjà été une civilisation spatiale. Nous étions même les contemporains et les rivaux des Forerunners il y a plus de cent mille ans.

L’empire galactique de nos Ancêtres s’est développé vers les frontières de la galaxie, colonisant des régions spatiales inexplorées, ce qui explique que nous n’avons actuellement découvert que peu de traces de leur existence. Sans parler de la réduction culturelle et génétique que leur ont imposée les Forerunners après qu’ils aient gagné la guerre contre ces humains.

La clé de nos recherches actuelle a été la découverte du site Yankee-002-G3. Un vaisseau des Ancêtres, entièrement intact. Pendant que l’incarnation moderne de notre espèce trouvait encore refuge dans des grottes, ce vaisseau dérivait en silence dans l’espace, attendant d’être trouvé.

Quelques dizaines de chercheurs se sont rendus à bord. Je les fais travailler par roulement. Le groupe de contrôle dispose de huit heures à bord du vaisseau pour mener ses analyses avant d’observer une période de repos de trente-six heures, durant laquelle les autres équipes mènent leur propre travail. Notez que nous avons mis en place ce rythme pour d’autres raisons que le repos physique : le vaisseau lui-même semble avoir d’étranges effets sur les chercheurs après une période d’exposition prolongée. La nature de la corrélation entre durée et influence n’a pas encore été déterminée.

J’ai joint quelques rapports d’incidents pour votre information. Je suis sûr que vous soutiendrez cette approche très prudente. Nous devons trouver un équilibre entre l’encouragement de ces phénomènes et notre capacité à mener des recherches conventionnelles.

Je reviendrai vers vous dès que nous aurons progressé.


RAPPORT D’INCIDENT 003
SOUMIS PAR : 01736-19013-SN

Je sais qu’on a de longues heures, mais je m’inquiète pour Jackson. Il ressemble souvent à un somnambule, comme si on n’existait pas pour lui. Il se cogne constamment contre moi en marmonnant. J’ai réussi à comprendre ce qu’il dit une fois, et il répétait nos noms en boucle. Qu’est-ce qui lui prend ?

RAPPORT D’INCIDENT 008
SOUMIS PAR : 02961-30002-DS

J’ai réprimandé Horne aujourd’hui pour avoir ignoré ses tâches. On a déjà assez peu de temps pour terminer notre travail à bord du vaisseau sans qu’on le prenne à fureter. Il dit qu’il cherche une personne qui fredonne, mais qu’elle bouge constamment dès qu’il approche. Je n’entends aucun fredonnement, donc soit il se paie ma tête, soit il va lui falloir une analyse psychologique.

RAPPORT D’INCIDENT 012
SOUMIS PAR : 05126-89937-PH

J’ai demandé à Jerry ce qu’il avait comme travail aujourd’hui, après qu’il m’ait dit qu’il devait surveiller les murs. Imaginez ma tête. Je lui ai demandé ce qu’il me chantait, et il m’a répondu qu’il voit des choses qui bougent à travers. Des ombres. Je lui ai dit que c’est probablement juste notre équipe qui se prépare, mais il m’a répondu qu’elles étaient trop nombreuses.

RAPPORT D’INCIDENT 013
SOUMIS PAR : 01948-20112-NM

Depuis qu’on a découvert cet équipement qu’ils ont adapté au projet ENOCH, Hudson ne pipe plus un mot. Il garde les lèvres pressées, comme s’il essayait de siffler mais sans faire de bruit. Je m’inquiète aussi pour les conteneurs de stase point-zéro. Quelqu’un a amené à bord une variété d’objets non validés pour transport. Holloway me jure qu’elle a vu Hudson étaler sa collection morbide d’os aliens sur le sol, comme pour faire un genre de rituel, mais quand on a envoyé quelqu’un vérifier, il n’y avait rien. J’ai besoin de vacances…

RAPPORT D’INCIDENT 015
SOUMIS PAR : 09136-77903-JF

Discussion étrange avec Nicholas aujourd’hui, je ne sais pas quoi penser. Il me parlait de sa femme et de leur maison, déjà bizarre vu que je me souviens que toute sa famille y est passée sur Kholo. Il me racontait son mariage, et je me suis rendu compte qu’il racontait en fait le mien. Le vin rouge sur la robe de ma femme pendant notre première danse. Il a relaté tous les détails comme ils existent dans mes souvenirs et que je les ai vécus. Mais c’était il y a cinq ans et je ne le connais que depuis deux ans. Quand je lui ai signalé ça, il s’est raidi et ne m’a plus parlé depuis.

RAPPORT D’INCIDENT 016
SOUMIS PAR : 03417-31813-TC

Earl a signalé qu’il faisait des rêves étranges. Il dit qu’il se réveille à bord du vaisseau, complètement vide à l’exception du Spartan Niles, en armure et immobile, qui lui pose des questions avec la voix de quelqu’un d’autre. Quand j’ai demandé à Earl quelles étaient ces questions, il est devenu tout pâle et a refusé de répondre. Ce vaisseau me fout vraiment les jetons…


INVOCATION CHIRALE

Je suis le rêveur. Voici ce qu’elle me dit.

Elle me dit qu’on ne rêve que de ce qui est déjà en nous. Je rêve d’elle, mais nous ne nous sommes jamais rencontrés. Peut-être que c’est elle la rêveuse, et que je suis le rêve… Je n’en sais rien.

Elle me demande : sommes-nous dans le futur, ou dans le passé ? Puis elle décide que c’est sans importance. Le présent est maintenant, et bientôt ne le sera plus.

L’alarme retentit pour indiquer la fin de notre rotation. Elle ne veut pas que je parte, alors je dois me cacher. Je trouve un endroit et y disparais, et quand les autres se rendront compte de ma disparition, ils retarderont la prochaine rotation jusqu’à ce que j’ai été retrouvé. En attendant qu’ils viennent me chercher, j’aurai le vaisseau pour moi seul.

À très vite, rêvée/rêveuse.

Tous les autres sont partis, j’émerge et commence mon exploration. Je n’ai pas encore tous les accès de ce croiseur, long de plus de six mille mètres de long de sections condamnées, silencieuses depuis des millénaires.

J’approche une des portes blindées qui nous résistait et attend ses instructions.

Je la sens s’éveiller dans mon esprit. Il faut parfois un effort pour qu’elle vienne à moi, comme retrouver quelqu’un perdu dans le brouillard. Elle est aussi fugace qu’un rêve à moitié oublié, incomplète mais bien présente. Peut-être a-t-elle la même frustration envers moi, comme si j’étais une côte visible à l’horizon, inatteignable. Mais plus je reste ici dans ce vaisseau, plus nous nous rapprochons.

Aujourd’hui, elle atteindra la côte.

Elle dit qu’elle doit me montrer des choses. Des choses anciennes et oubliées, enfouies et perdues depuis longtemps. Elles n’ont pas eu lieu ici même, mais dans un endroit très lointain. Qu’importe, elle peindra la scène sur ce canevas.

J’approche de la porte et ferme les yeux, apaisant mon esprit conscient pour faire place à cet autre esprit, cet autre soi.

J’ai la lointaine sensation de porter un appareil à ma bouche. Les fruits du projet ENOCH. Et quel cadeau, cet appareil si étrange que je comprends à la fois si bien et si mal.

Les anciennes armures que nous avons découvertes étaient dotées de cet appareil sous le casque, prévu pour être attaché à la mâchoire. Il n’avait aucun sens, et pourtant sa logique était claire. Il ne produisait aucun mot, mais les sifflements et clics qui en sortaient après traduction me semblaient comme des mots, comme une douce musique. C’était une langue que je pouvais presque reconnaître, aussi familière qu’elle.

Tous n’ont pas la chance d’entendre la musique, les mots, mais je n’en suis pas pour autant seul.

Je ne suis pas seul.

Ah, la voilà. Cette vieille machine doit être un genre de balise de navigation pour elle, ou un vent favorable qui l’entraîne vers la côte où j’attends sa venue.

Ma bouche parle pour elle, je prononce des mots anciens dans le masque.

De frêles traits d’énergie parcourent les murs autour de moi et s’assemblent dans la porte qui grince et gronde, sortie d’un sommeil antique, noir et sans rêves… avant de s’ouvrir pour me laisser passer.

Un frisson chimique parcourt mon corps. Ce développement l’apaise, et je suis impatient de voir ce qu’elle veut me révéler.

La pièce derrière la porte est plongée dans le noir et l’air y est glacial, mais je franchis le pas comme si je retournais chez moi.

La coalescence du premier de nos rêves partagés commence.

Une lumière bleutée apparaît et prend une forme cylindrique coulant vers le plafond comme une cascade inversée. À l’intérieur, une forme apparaît, elle est humanoïde, porte une armure, et est immobilisée dans un champ de confinement. Je m’approche et tente de percevoir plus de détails, mais la pénombre rejette ma vision qui ne s’y est pas encore adaptée.

D’autres figures prennent forme, illuminées par la lumière du champ de confinement. Si elles étaient immobiles, on aurait pu les confondre avec des statues. Elles sont plus détaillées, et je vois que l’armure qui couvre tout leur corps n’a aucune faille, chaque plaque anguleuse semble fusionnée aux autres. Il n’y a pas de casque distinct non plus, l’armure crânienne forme un triangle sur sa face avant, où un unique « œil » luit.

« Les actions de votre espèce sont un affront au Manteau, » déclare une des statues en armure d’une voix hautaine et impérieuse. « Votre expansion égoïste a dévasté des écosystèmes et chassé des populations, et maintenant vous rasez des mondes entiers. »

Je sens une antique haine être ravivée en moi. Elle me veut pour témoin, pour partager cette juste colère.

« Vos commandants ont vu les données que j’ai volontairement partagées. » Sa voix est forte et fière, imperturbable malgré sa captivité. « Ils ont vu pour eux-mêmes la Maladie déformante. Elle se trouve encore dans ce système, et si vous ne me libérez pas sur-le-champ pour nous assister dans son oblitération, elle nous consumera tous ! »

« Les menaces aggravent votre cas, humaine, » réponds la statue armurée. « Nous avons encore beaucoup de doutes sur vos déclarations. Beaucoup pensent que cette Maladie déformante est une simple arme biologique accidentellement ou volontairement répandue par votre espèce, et que vous l’utilisez comme excuse pour étendre votre empire depuis les frontières galactiques. Vous brûlez des mondes et leurs civilisations pour y installer les vôtres. »

« Vous êtes des sots, » crache-t-elle avec un mépris qui transparaît dans les mêmes mots qui sortent de ma propre bouche. « Entendez-moi, Forerunner. Si vous vous opposez aux miens, vous serez la prochaine cible de la Maladie déformante, mais vous la traiterez comme vous traitez tout autour de vous : quelque chose à étudier et contrôler. » Le venin dans sa voix s’adoucit alors qu’elle se penche et murmure de terreur. « Vous ne devez pas. Ce parasite n’est pas une créature mue par l’instinct. Sa faim est au service d’un désir plus profond, d’un objectif que nous ne pouvons pas, et ne devons pas comprendre. Il n’y a qu’une façon d’y faire face : par l’annihilation. »

Les ombres des Forerunners restent silencieuses, et une atmosphère pesante s’installe. Nul doute que les intelligences intégrées à leur deuxième peau métallique ont vérifié qu’il n’y a aucun mensonge dans ces paroles.

Et malgré tout, ils couvriront leurs oreilles et leurs yeux. Nous sommes ennemis depuis trop longtemps, ils nous ont déclarés hérétiques pour nous être réclamés du Manteau. La vérité peut attendre, l’occasion d’éliminer une autre espèce rivale est trop tentante.

« Lorsque votre espèce atteindra la même conclusion que la mienne, » dit-elle entre ses dents en se retirant dans le champ de confinement, « alors il sera trop tard pour nous tous. »

Le rêve s’efface et ses derniers mots résonnent, dans le vaisseau ou dans mon esprit.

Pour nous tous…

Prenant conscience que mes jambes tremblent douloureusement, je tombe au sol. L’effort de concentration qui lui permet d’apparaître et de prendre le contrôle semble être physiquement épuisant.

Selon mon interprétation, c’est un tulpa. Elle provient de l’esprit, de pensées ayant pris forme, vivant dans les profondeurs de mon subconscient. Notre simple présence dans ce vaisseau a eu l’effet d’un paratonnerre pour elle. Elle n’est ni un alter ego, ni un doppelgänger, ni un assemblage de pensées donnant l’illusion de cohérence et de sapience, ni le produit d’une maladie mentale. Je pense qu’elle était réelle, autrefois. De chair et de sang. Mais quelque chose est arrivé à notre espèce il y a longtemps, qui l’a transformé, ainsi que beaucoup d’autres, en un greffon, une couche de conscience endormie qui vit en chacun de nous.

Parmi tous les troubles s’étant manifestés à divers degrés parmi mes collègues chercheurs à bord du vaisseau, elle est la première et pour le moment la seule personne à avoir pris forme.

Je reste au sol pendant… quelques minutes ? Une heure ? Je ne sais pas. Je contemple la possibilité de m’interrompre ici pour récupérer et réfléchir à ce que j’ai vu, mais elle insiste.

Le présent est maintenant, et bientôt ne le sera plus.

Je puise dans mes dernières forces pour me relever et boiter dans l’obscurité. J’ai encore des choses à voir.

Nous continuons. Elle n’a plus d’intérêt pour la section de vaisseau qu’elle m’a aidé à atteindre. Son objectif est maintenant le pont, dont elle m’assure que nous sommes tout proches étant donné notre position.

Mon instinct me dicte de lever les mains devant moi pour tâter mon chemin à travers cet endroit inconnu et plongé dans le noir, mais j’avance pourtant avec assurance.

Soudain, le vaisseau tout entier tremble, comme si je me trouvais dans l’estomac d’une créature rongée par l’appétit depuis des temps immémoriaux.

Les ombres recouvrent la coursive comme une épaisse fumée et prennent des formes incomplètes de pustules bulbeuses et d’excroissances charnues. Une mer de peau parcourue de convulsions coule de la porte derrière moi et transforme le couloir en gosier. Relevant les yeux, je vois plusieurs Forerunners, leurs armures gris métallique contrastant avec la chair viciée qui les absorbe dans les murs et dans le plafond, comme si elle les digérait.

Nous ne sommes rien, vous et moi. Juste un repas.

Tous connaîtront ce destin.

Deux personnes courent le long du couloir, la Maladie déformante se referme sur eux comme un muscle qui se contracte.

L’une d’elles est Forerunner, engoncée dans cette étrange armure complète avec son œil cyclopéen. L’autre doit être elle, puisqu’il doit s’agir d’une projection de ses souvenirs. Capturée, interrogée et rejetée… et maintenant libérée de son champ de confinement et l’arme à la main.

Le Forerunner se retourne à une vitesse inimaginable, son bras droit se reconfigure en fusil et tire des traits de particules ionisées.

Elle est bien plus petite que le Forerunner, environ deux mètres sans son casque. Je ne perçois sa figure que pendant quelques instants lorsqu’elle tire les munitions de lumière massive avec son arme de fortune. Ses épaules sont larges et puissantes, sa présence est celle d’une guerrière. Il est remarquable que nos Ancêtres nous ressemblassent autant, mais avec de bien plus importantes variations morphologiques. Sa tête est un peu plus ronde et allongée, avec des traits plus étirés, son menton est peut-être trois centimètres plus court que celui d’un Homo sapiens moderne, avec une arcade dentaire plus prononcée. Elle se rapproche des Denisoviens, une sous-espèce archaïque éteinte de nous jours, mais encore répandue et vivace à son époque.

J’aimerais tellement pouvoir lui parler, lui offrir des mots de soutien. Se voir elle-même dans ces rêves, ou plutôt ces cauchemars, dois être agonisant et dysphorique.

Je ne connais même pas son nom… Peut-être qu’elle aussi l’a oublié.

Le seul réconfort que je peux lui offrir est d’accéder à ses souhaits. Elle veut atteindre le pont du vaisseau, et me montrer ces visions des temps passés, bien que je ne saisisse pas entièrement leur sens, si tant est qu’elles en aient un. Nous avons déjà à notre époque rencontré le Parasite, qu’elle appelle Maladie déformante. Elle craint peut-être que cette menace réapparaisse. Ou peut-être que ces souvenirs sont si traumatiques que les derniers vestiges de sa conscience les partagent par automatisme.

Les deux ombres disparaissent alors que j’atteins le fond de la coursive et grimpe une échelle menant à l’antichambre avant le pont.

L’ascension est particulièrement difficile, mes dernières forces physiques se tarissent rapidement et chaque échelon est une épreuve. Je n’ai rien mangé depuis des heures, et ma gorge est si sèche qu’elle me démange. Mais je ne peux qu’avancer.

Sans lumière, j’ignore combien de temps prendra mon ascension. Je ne peux voir que quelques échelons devant moi, mais je sens qu’il fait de plus en plus froid, une grande pièce n’est pas loin.

Mes dernières découvertes résonnent dans mon esprit. Je me demande quelle était sa mission, et ma curiosité se fait plus intense alors qu’elle semble se détacher de ma conscience. Je suis humain après tout, plus d’une centaine de milliers d’années d’écart n’a rien changé à la curiosité naturelle de notre espèce.

Il lui serait inutile de nier cette caractéristique.

Mes bras tremblent trop, j’interromps mon ascension et me colle au mur métallique, immobilisé.

Étrangement, je dois négocier avec elle, la convaincre de me donner une réponse par un rêve ou un souvenir. Quand elle cède à ma demande, elle répond avec mes propres lèvres, et ses mots s’échappent de l’appareil ENOCH autour de ma tête.

Puisque nous en sommes là, inutile de garder des secrets.

Plutôt que de s’expliquer, elle projette des concepts et des images dans notre subconscient partagé.

Une immense vague surgit d’un océan, s’élevant toujours plus haut avant de s’écraser sur une ville. Ce déluge inéluctable se répète partout sur de nombreuses planètes.

Une histoire récente apparaît : une main humaine et une main alien se serrent, un accord de paix est conclu.

Un sphinx apparaît. Sa tête est humaine, ses ailes celles d’un oiseau, son corps celui d’un lion, et sa queue celle d’un serpent, mais il se transforme avant d’avoir pu poser une question. Sa tête s’aplatit et son visage brûlé pour révéler son crâne. Les ailes aviaires s’étendent comme pour prendre leur envol, mais se séparent en des segments fractals; les pattes de lion se recroquevillent, la queue de serpent s’étend, et toutes les parties deviennent un alliage froid et sombre.

L’énergie s’accumule en son centre avant d’exploser soudainement, réduisant la ville en ruines alors que l’eau continue de monter vers la queue du sphinx…

Elle arrête ses explications ici, mais je pense avoir compris.

C’était un test. C’était une fausse mission d’infiltration visant à déterminer la réaction des Forerunners face à la réalité de la Maladie déformante, attirant le Parasite vers eux pour qu’ils soient témoins de son existence.

Sa réponse me satisfait, et je reprends mon ascension, sans m’arrêter cette fois.

Il fait bel et bien plus froid en haut. Je me retrouve, chancelant, dans une sorte d’antichambre, qui connecte plusieurs autres pièces. Je me demande si la structure de ce vaisseau de nos Ancêtres reflète celle des nôtres, ou si elles sont radicalement différentes.

Les traits de lumière réapparaissent, et je sens qu’il s’agit du dernier rêve qu’elle me montrera, pour l’instant.

Un immense pilier s’est effondré sur le Forerunner. Il a beau tirer toutes ses munitions contre les ombres qui approchent à cent mètres, elles ne ralentissent pas. Ces abominations titubantes ont senti que leurs proies sont acculées. On dirait presque qu’elles ralentissent, pour savourer leur peur.

Ma peur ?

Non. La peur d’un Forerunner.

Ma propre arme était vide, réduite à une simple massue. J’ai frénétiquement cherché une échappatoire, mais aucun passage ne m’était ouvert.

Nous étions pris au piège.

Leurs relents nous parvenaient, la puanteur atroce du sang et des cadavres devenus des monstres. Leurs têtes ballottaient, leurs cous étaient déconnectés de leurs colonnes vertébrales, mais leurs visages restaient reconnaissables, figés en masques de terreur et de douleur.

Le Forerunner continuait de tirer, se battant jusqu’au bout.

Mais quelques instants plus tard, ce son survint. Celui de la gâchette qui cliquette vainement.

Il n’avait plus de munitions.

J’ai vu son commandant devenu monstre se traîner vers nous. Lentement. Horriblement. Inévitablement. Une de ses mains était fusionnée à la chair de son ventre et un groupe de tendons courbes couvraient sa tête comme une couronne de chair.

Il s’est agenouillé devant le Forerunner pour placer sa main immense et noueuse sur lui…

Je… Je ne peux pas décrire ce qui est arrivé un instant plus tard.

Je n’ai ni la volonté ni la capacité de me souvenir.

Je crois que je suis la dernière chose que le Forerunner a vue… mais je ne saurais jamais s’il était désorienté, ou peut-être accusateur.

Je ne peux pas nier que leurs réquisitions contre nous étaient techniquement correctes. Le Parasite a englouti tout son équipage et consumé chaque être vivant sans épargner personne.

À part moi.


CHRYSALISME

Les rêves se terminent ici pour l’instant. Elle a atteint la côte et m’a montré, ou plutôt transféré, ce qui avait été depuis longtemps oublié, ce qu’elle avait décidé de transmettre, et elle doit retourner à l’océan.

Quel genre de rêveur vais-je devenir sans ces rêves ?

Ce qu’elle m’a montré ne peut rester onirique, et doit devenir réel. Je suis réel, je serais donc l’avatar de sa douleur, et elle en deviendra réelle elle aussi. J’en suis certain.

Mais je dois marier cette douleur à l’espoir, car j’ai une dernière chose à voir. Quelque chose de plus tangible qu’un souvenir.

J’ai atteint le pont du vaisseau.

Je suis à bout de forces, mais parviens à atteindre le niveau inférieur où se trouvent des terminaux, écrans et interfaces. Au centre se trouve une table d’environ dix mètres de long et trois de large, entourée d’une dizaine d’autres terminaux représentant probablement chacun une station différente.

Elle me guide vers la longue table et mes lèvres produisent des clics et des sifflements. Un signal d’activation.

L’espace d’un instant, la pièce reste froide, silencieuse et morte. Je n’entends que l’écho de ma respiration laborieuse dans cette tombe gelée.

Peut-être que le vaisseau est vraiment sans vie…

Mais j’entends un son sourd émanant de la table, et un holographe prend vie un instant plus tard. Des formations de lumière fractales bourdonnent en essayant de s’assembler en images cohérentes, comme si elles devaient se souvenir de leurs rôles.

Je sens la joie et l’excitation, la mienne et la sienne à la fois, monter en moi.

Les holographes prennent alors leurs formes attendues pour représenter des panneaux carrés contenant divers symboles et données, s’éparpillant dans toute la pièce. Au-dessus de moi se trouve une représentation du système local avec les orbites de ses trois petites planètes et son dense champ d’astéroïdes, ainsi que la frégate de classe Anlace qui nous a amenés dans ce système où réside le vaisseau de nos Ancêtres.

Elle contrôle mes bras, et les lève comme pour diriger une symphonie, tirant sur l’hologramme pour étendre sa vision aux systèmes proches, puis au Bras d’Orion, puis à la représentation de l’espace au-delà.

C’est là que je les vois.

C’est là que je comprends.

Même si nos Ancêtres ont perdu la guerre contre les Forerunners et ont donc été condamnés à la régression génétique jusqu’au stade préindustriel, son empire annihilé, et toute trace de son âge spatial détruit, les Forerunners ne connaissaient pas tous leurs secrets. Il y a des lieux qu’ils ne pouvaient ou ne voulaient pas atteindre.

Notre avantage était la direction de notre expansion. Pour échapper à l’ombre de leur écoumène, nous avons atteint les systèmes les plus reculés de notre pan de la galaxie, au-delà du Bras de Persée et jusqu’aux abords de l’espace intergalactique.

Ces espaces terrifiaient les Forerunners. Comme si leur mémoire génétique contenait une peur depuis longtemps ignorée.

Je n’aurais pas les années nécessaires pour toutes les redécouvrir, mais malgré tout… il y a tellement, tellement de choses qui nous attendent.

Bien plus que je n’aurais imaginé.

Chacun d’entre nous porte leur flamme. Un fragment de temps et d’esprits oubliés, attendant d’être remontés des profondeurs. Un jour, nous les connaîtrons comme nous étions censés les connaître.

Un jour, ils atteindront la côte, et nous chanterons tous de nouveau le mantra de la roue brisée.

Daowa maadthu.


La prochaine Waypoint Chronicle de cette rediffusion sera La troisième vie.

Retrouvez les autres histoires des Waypoint Chronicles :

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